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A propos de PSYCHÉ EXTÉRIEUR NUIT

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Pierre Guéry & Nathalie Démaretz  > 

 » Notre cheminement dans la vie, dans ce monde, est une marche aventureuse. Psyché Extérieur Nuit dévoile précisément cette marche de funambule, qui nous mène de façon très hasardeuse, balbutiante, vers l’ailleurs, en quête de l’inconnu, dans l’attente, dans l’espoir même, de l’inattendu.

Barcelone, vieille ville portuaire aux multiples métamorphoses de la modernité, construite et peuplée d’individus aux identités bigarrées, hydre à plusieurs têtes, s’est offerte dans notre travail comme un creuset d’errances qui interrogent l’humain. Nous y avons capté des fragments de vies, des fragments de ville, des fragments de l’Histoire et des petites histoires, comme autant de touches poétiques : murs, rues, habitants, bruits, eau, couleurs, attentes, rêveries, révolte… Nous avons cherché à comprendre comment battait le grand coeur de l’hydre. La cité alors, d’objet est devenue sujet, elle s’est livrée d’elle-même, inscrivant ses traces et ses palpitations dans notre imaginaire.

Tout au long du mois de février 2014, la Galerie La Place nous a invités en résidence à Barcelone, mettant à notre disposition un logement et un espace de travail avec vitrine, en prise sur l’extérieur. Là, au cours de nos longues marches dans la ville, nous avons cherché avant tout à saisir le sensible, à capter l’insolite, ce qui se cache derrière ce qui est donné à voir, in vivo. Travaillant tantôt ensemble, tantôt chacun de son côté sur cette idée commune et agissant simultanément avec nos outils propres : photographie, vidéo, écriture, prise de son. Ensuite, nous avons fait le montage de toutes ces captations : son, images, mots… et il ne fut pas simple en si peu de temps de devoir assembler les mille pièces d’un puzzle pour faire un tout ! Enfin il nous a fallu apprendre à marcher ensemble, dans la même direction, à accorder nos pas… « 

Nathalie Démaretz >

Quand l’image fait corps et que le corps fait sens.

« … Les projections d’images sont à l’origine prévues pour des surfaces blanches, lisses et fixes. Très rapidement, dans mon parcours, je suis passée de ces écrans conventionnels aux supports sans écran (murs, sols, plafonds, végétaux…) ou à des écrans fabriqués (calques, plumes, silhouettes…), produisant des effets de matière, de couleur, de luminosité et de forme mais toujours fixes. J’ai ensuite expérimenté des surfaces en mouvements aléatoires (végétaux, parachutes, fumées…) soumises au vent ou à des artifices (soufflerie, ventilateurs, miroirs articulés…). Tout ça dans le but de donner vie à mes images et de ne pas les figer à jamais sur un cadre-écran lisse, qui est à mes yeux synonyme des cadres-photos accrochés aux murs impeccablement blancs des galeries, les mortifiant comme des marbres funéraires ! Par ailleurs, j’ai souvent travaillé avec des compagnies de danse contemporaine et j’ai filmé beaucoup de danseurs. J’aime que l’image captée soit au plus près du corps, glisse sur la peau, en révèle le grain, ses ombres et ses lumières, ses plis et replis.

Avec cette nouvelle création j’ai voulu faire du corps vivant et de son mouvement un nouvel écran. Ce n’est plus le corps qui est filmé, au contraire, la peau devient surface de projection. Cette peau qui fait naturellement écran entre nous et le monde, qui le respire ou s’en protège, qui mémorise le temps qui s’écoule, les caresses et les coups. S’est opéré alors le passage du cadre de l’écran au hors-cadre de la cité reflétée sur un corps vivant, et de l’objet au sujet : un humain dans la ville, solitaire et multiple, individu ubique. La peau devient palimpseste, s’imprégnant de la lumière en mouvement, révélant des bribes de vies, concrètes ou abstraites, témoignant de ce qui nous anime et qui le plus souvent suffit à donner du sens à notre existence, restituant la mémoire. Le corps en se mouvant offre un volume à l’image, une troisième dimension, et investit l’espace. Un corps-miroir réfléchissant donc, renvoyant dans le milieu dont elles proviennent des ondes, des particules, des vibrations. Ce corps a été celui du poète Pierre Guéry. Et puis ce corps marche et avance en funambule, ce qui prend un sens plus important encore à Barcelone où les gens marchent quotidiennement, la promenade y étant un art de vivre presque sacré.

Au delà de cette idée à l’origine de cette création, j’ai découvert en l’expérimentant lors de la performance que ce corps pouvait devenir double. La vidéo projetée étant construite à l’intérieur d’une découpe, parfaite réplique du corps du poète afin de mieux épouser ses formes, à partir de ce moment, il devient possible de jouer avec la dissociation : double, alter ego, ombre. « L’autre », que je méconnais ; Moi ou Surmoi, qui me joue des tours ; psyché, âme ou esprit, etc. Aujourd’hui cette création prend donc un sens multiple parce qu’elle est construite en strates : l’une qui relève de la projection sur le corps, sur la peau, une autre qui évoque la marche du funambule, une autre qui donne du sens par le contenu même des images, une autre qui résonne aux mots du poète, une autre qui fait corps, une autre encore qui joue, qui s’amuse et nous balade, qui se tait, chuchote, bredouille, hésite, qui dit de nos conflits intérieurs mais aussi de ce qui nous divise ou nous rassemble entre êtres humains. Ce qui est certain est que la poésie immédiatement se propage, les spectateurs actifs se font instantanément happer par l’étrangeté de ce corps lumineux, entrent dans la marche lente, suivent ce rythme très inhabituel dans une grande ville. Nous passons spontanément du réel à la fiction. Et le fait que ça se déroule dans la rue, en plein réel donc, et non dans un lieu pré-codifié à cet effet, accentue davantage encore cette bascule. C’est assez magique. De cette Barcelone reste une vision non pas embellie, mais transcendée, sublimée. Ses maux et ses joies constituent un seul poème, celui de « Psyché Extérieur Nuit ». Et bien sûr nous ne nous arrêterons pas là. Nos pas nous porteront ailleurs. Nous tendrons un fil dans d’autres villes, d’autres pays… En tout cas, il y a là une belle matière poétique, politique, onirique, sensée, fragile, profonde, esthétique, ludique. Il y a là matière à réflexion. »

 Pierre Guéry >

«Ce corps-écran, à la fois émetteur et récepteur, a donc été le mien. Défendant depuis toujours une poésie-action, je m’engage forcément physiquement dans mes performances poétiques. Ancré dans la réflexion mais ne craignant pas l’expérimental, je m’étais approché depuis quelque temps de la danse Butô, donc du corps en mouvement permanent entre intime et extime, du corps en prise avec ses métamorphoses – que celles-ci soient induites par le son, la parole ou l’espace; mais aussi le corps immobile, celui qui arrête la pensée pour examiner en détail un état d’intériorité. Une immobilité sans hâte, sans précipitation, sans jugement, prête à changer de direction, à modifier les fréquences de son état, à renvoyer un rayonnement différent. C’est le propre de la poésie, dans le verbe comme hors des mots, dans le son comme dans le geste.

Durant cette création, j’ai accompagné les promenades-captations vidéo de Nathalie Démaretz pour imprégner mon corps et sa mémoire des sons et des images de la cité. Puis j’ai erré en solitaire, tendant mon micro, lui parlant lors de mes marches, faisant des pauses, écrivant… ; aboutissant ainsi à la création de la bande-son. J’ai aussi recherché, pour la performance in-situ, des mouvements et des rythmes de déplacements qui puissent s’adapter aux contraintes de projection mobile, tout en offrant une atmosphère onirique…»

Propos recueillis le 8 mars 2014 à Marseille