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Artiste vidéaste plasticienne

« Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres »

INTÉRESSANT À (RE)LIRE. Et toujours d’actualité.

Extrait du Discours de la Servitude Volontaire d’Étienne de La Boétie, rédigé en 1549. Cet extrait provient du livre imprimé en novembre 1947 sur les presses des Éditions « La Boétie », 28, rue de la serrure, à Bruxelles, p. 23 à 26.

« Pauvres et misérables peuples insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en votre bien, vous vous laissez emporter devant vous le plus beau et le plus clair de votre revenu, piller vos champs, voler vos maisons et les dépouiller des meubles anciens et paternels ! Vous vivez de sorte que vous ne vous pouvez vanter que rien soit à vous ; et semblerait que meshui ce vous serait grand heur de tenir à ferme vos biens, vos familles et vos vies ; et tout ce dégât, ce malheur, cette ruine, vous vient, non pas des ennemis, mais certes oui bien de l’ennemi, et de celui que vous faites si grand qu’il est, pour lequel vous allez si courageusement à la guerre, pour la grandeur duquel vous ne refusez point de présenter à la mort vos personnes. Celui qui vous maîtrise tant n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps, et n’a autre chose que ce qu’a le moindre homme du grand et infini nombre de nos villes, sinon que l’avantage que vous lui faites pour vous détruire. D’où a-t-il pris tant d’yeux, dont il vous épie, si vous ne les lui baillez ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne les prend de vous ? Les pieds dont il foule vos cités, d’où les a-t-il, s’ils ne sont des vôtres ? Comment a-t-il aucun pouvoir sur vous, que par vous ? Comment vous oserait-il courir sus, s’il n’avait intelligence avec vous ? Que vous pourrait-il faire, si vous n’étiez recéleur du larron qui vous pille, complices du meurtrier qui vous tue et traîtres à vous-mêmes ? Vous semez vos fruits, afin qu’il en fasse le dégât ; vous meublez et remplissez vos maisons, afin de fournir à ses pilleries ; vous nourrissez vos filles, afin qu’il ait de quoi soûler sa luxure ; vous nourrissez vos enfants, afin que, pour le mieux qu’il leur saurait faire, il les mène en ses guerres, qu’il les conduise à la boucherie, qu’il les fasse les ministres de ses convoitises, et les exécuteurs de ses vengeances ; vous rompez à la peine vos personnes, afin qu’il se puisse mignarder en ses délices et se vautrer dans les sales et vilains plaisirs ; vous vous affaiblissez, afin de le rendre plus fort et roide à vous tenir plus courte la bride ; et de tant d’indignités, que les bêtes mêmes ou ne les sentiraient point, ou ne l’endureraient point, vous pouvez vous en délivrer, si vous l’essayez, non pas de vous en délivrer, mais seulement de le vouloir faire. Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez ou l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même fondre en bas et se rompre ». 

Étienne de La Boétie

PSYCHÉ EXTERIEUR NUIT / Paroles de spectateurs

Paroles de spectateurs

Une expérience insolite en plein coeur d’une ville où l’on aime déambuler. Une rencontre imprévue avec des silhouettes animées qui nous racontent autrement la ville et le citadin. On se laisse porter et on profite de cet instant calme et poétique.  W.

Ce qui m’a beaucoup touchée, ce qui m’a fait voyager dans les idées et dans les émotions c’est l’idée d’un corps humain traversé et support à la fois. Traversé par des images comme des traces de tout ce qui nous habille, nous les humains. Des images-métaphores de tout ce qu’on voit sans savoir toujours qu’on le voit et qui s’imprime quand même en nous. Corps traversé mais aussi métamorphosé au gré des images qui le traversent et le rendent grotesque ou mythique, sensuel ou rocailleux, drôle ou monstrueux. Un corps support, un corps comme un étendard, un corps qui porte et supporte fièrement, dans sa déambulation à la fois erratique et déterminée, une appartenance indéfectible à ce qui fait la complexité d’être un être humain, un corps qu’on a envie de suivre parce qu’il en dit long. Rien de moins.  Christine K.

Etrange procession silencieuse. La ville se tait sur notre passage. La ville, par fragments, se projette sur le corps. Elle a besoin de nos corps pour exister. Comme elle a eu besoin des corps de nos morts pour exister précédemment, pour exister déjà. Puis la ville empruntera d’autres silhouettes quand nous n’y serons plus. Pour exister encore. Elle jouit d’une continuité historique que nous n’avons pas. L’humanité aime à se propager dans l’espace, mais elle réussit pareillement à se prolonger dans le temps, précisément par ses villes. Nous avons en quelque sorte construit là, artistes et public ensemble, une forme d’éternité… L’âme d’une ville nous dépasse largement, puisqu’elle nous préexiste et demeurera après nous. Ainsi, voir la ville épandre ses images animées sur le corps immaculé du poète m’a fait sentir ceci : l’âme d’une ville, c’est cette vie indépendante de la nôtre, qui nous emprunte nos corps le temps de notre passage ici. Parfois c’est l’homme qui échappe à sa ville. Le poète parfois s’extirpe de l’image projetée sur lui. Il lui arrive d’être trop petit pour la supporter toute entière. Il lui arrive d’avoir aussi sa part d’ombre, que la ville ignore. La ville est alors ce lieu étrange et familier qui unit les disparus, les vivants et les êtres à venir. Des corps lost in space.  Pascal R. 

C’est tout d’abord une ambiance. Déambuler au milieu des rues de Barcelone, entre badauds, touristes et… artistes, dans ces rues pavées, pleines d’Histoire et d’histoires, en sachant qu’on participe à l’écriture d’une nouvelle histoire. C’est à la fois ouvrir ses sens inconscients à la rue tout en entrant dans le monde de cette performance. Visuellement bien sûr, cette démarche tellement théâtrale, ce corps blanc dans l’obscurité. Mais ce corps, présent à l’instant présent se remplit d’images, d’images de Barcelone justement. Et puis l’arrivée dans ce bâtiment, historique lui aussi, qu’est le couvent de Sant Augustí. Et là, le corps se détache de l’image, s’y rattache, se fond, se mesure à elle et se démesure. Il joue, ils jouent. Et il susurre. Une phrase lâchée de ci de là qui prend tout son corps dans cette ambiance. Ce retour, ensuite, plus intégré dans la vie quotidienne de ce quartier. Et puis là, on se reconcentre autour d’une voix, celle du poète, qui émerge. Des poèmes courts qui prennent une autre dimension après l’expérience vécue, une dimension de danse qui suivrait les déambulation de ce corps blanc.  Carine

Silhouette éclatante de blancheur au coeur des ténèbres. Par quelles obscures forêts, dans cette nuit obscure, nous invites-tu à cheminer ? Si mince et haute silhouette que toute entière quichottesque et goyesque tout à la fois, et même aussi dantesque, où veux-tu donc nous emmener ? Quels enfers parcourir pour à quels paradis parvenir ? Ou quels amours fous poursuivre ? Ou plutôt quelle héroico-grotesque aventure, comme la vie, mener ?  Et de quelles superbes illusions se nourrir à n’en plus jamais pouvoir revenir ? Silhouette au pas dansant comme une épée de flamme vacillant aux souffles de la bouche d’ombre qui nous abrite, n’est ce pas l’image de l’Homme, – de tout homme mais à toi attachée, comme ton ombre mais de lumière – que les moindres de tes gestes dilatent aux dimensions de cette voûte de pierre ou réduisent à moins que rien ? Quant aux mots défilant sur ton habit de lumière ou susurrés à l’oreille de certains, on aimerait  les méditer plus longtemps comme des énigmes devenant clefs d’or d’un parcours initiatique. Mais nous voilà déjà parvenus à la sortie du tunnel, au terme de la course, de l’aventure, de la performance – de la vie ? Alors bras étendus comme ailes déployées, à force de courir tu prends ton envol. Et ta silhouette s’évanouit à l’horizon de la nuit nous laissant émerveillés et en même temps brûlant de toutes nos questions, impatients de la voir apparaître, cette même silhouette, lors d’une nouvelle pentecôte plus performante que jamais…   Francis de C

Une présence  s’impose d’emblée.  Une silhouette  mystérieuse, une liane  qui se déploie, un homme-sandwich  qui offre son dos à la ville. Et déjà le public amorce la déambulation  dans un silence  recueilli  et un calme majestueux. La poésie s’impose dans ce hangar improbable. Les mots susurrés à l’oreille n’y sont pas pour rien. Tout le monde est ainsi embarqué  dans un lent voyage, conduit  jusqu’à l’image finale de l’homme s’éloignant  sous  un parapluie. Les images  défilent  et nous intriguent. Elles vont du mur au plafond tandis que la silhouette  de l’homme se démultiplie. J’ai même vu un enfant montant  sur le muret pour avancer non loin de l’homme en imitant ses gestes. José R

« Je ne regarde pas le reflet de l’image, l’image est en moi. » (Jean GIONO – L’eau vive). Qu’est-ce qu’une œuvre vraiment artistique? C’est de l’image qui franchit le cap de la reproduction d’une réalité fade, inepte. Ce qui était envoûtant et qui donnait vraiment envie de regarder, c’était la parfaite synchronisation du corps, des mouvements, des gestes, avec les images projetées. Je n’avais encore jamais vu un spectacle complètement consacré à ce domaine des arts. Je me réjouis maintenant d’avoir pu y venir, cheminant alors dans  les rues de Barcelone. Antoine de SAINT-EXUPERY écrit dans « Citadelle » ces quelques lignes qui expriment parfaitement ce que j’ai ressenti à la fin de votre spectacle : « Rien n’a de sens si je n’y ai mêlé mon corps et mon esprit. Il n’est point d’aventure si je ne m’y engage. » D.D

Dans une obscurité où l’on entend seulement les pas et des murmures, on suit le corps lumineux d’un grand homme phosphorescent sur lequel se dessinent d’étranges paysages urbains, des colonnes vertébrales autoroutières, des scènes de la vie des villes, des terrasses de bistrots ensoleillées, des places publiques, des jardins rafraichissants et des nuits électriques. Est ce l’invention d’une forme nouvelle de défilé de haute couture ? Est-ce une mystérieuse filature collective, une enquête sur une ville ? C’est du cinéma sur écran vivant, une façon d’habiller d’images l’étrange danseur, un duo funambulesque entre la femme caméra et l’homme écran, et pour nous, promeneurs nocturnes, c’est une balade singulière, comme clandestine, qui marque l’esprit. S.S

L’homme-Pierre déambule. Nous le suivons. Sur son corps Barcelone défile. Nous y croisons des rues, des places, rencontrons des visages. Parfois le corps s’accroit, se dédouble ou s’évanouit au caprice des images comme un lierre avide d’autres attaches. Nous visitons la ville que Nathalie, discret mentor-caméra, révèle en s’effaçant. Etrangement Barcelone s’immisce en nous, nous sommes ses suiveurs captifs, somnambules charmés. Quand les images grimpent aux étoiles, ressurgit alors le réel fade. M-C. A et P. L

Quand on assiste à la représentation de « Psyché Extérieur Nuit », on a l’impression, tout comme Alice aux pays des Merveilles, de pénétrer dans un monde d’images totalement original. Pas de place au son, cela n’est pas nécessaire, seul l’oeil est sollicité et la magie opère. Le corps de l’artiste se fond dans l’image ou inversement et nous propose une nouvelle vision du monde… On est partout et nulle part… La fin, très poétique, nous laisse presque un regret… celui d’un spectacle qui se finit déjà alors que nous aurions pu poursuivre ainsi jusqu’au bout de la nuit… C.D

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PSYCHÉ EXTERIEUR NUIT à Nantes, au festival MidiMinuitPoésie

Psyché Extérieur Nuit

de nathalie démaretz et pierre guéry au festival MidiMinuitPoésie à Nantes

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Le poème en mouvement Psyché Extérieur Nuit était invité à NANTES par la Maison de la Poésie, pour la 15ème édition de son très beau festival MidiMinuitPoésie. Nous avons joué deux fois en extérieur nuit, en plein centre ville, avec 2 parcours très différents d’une durée de 35 minutes environ.

Le 1er, très urbain, était une grande avenue rectiligne, longée par le tram et traversant des terrasses de cafés. Malgré l’extinction des réverbères municipaux, les enseignes lumineuses nuisaient parfois à la clarté de l’image projetée, mais le son – texte dit en live par Pierre Guéry, mixé en direct avec les sons urbains- produisait un rendu intéressant, très proche de la bande sonore qui accompagne la captation de Barcelone ( visible sur Youtube). Et puis il y a eu quelques beaux impromptus, au hasard des rencontres croisant notre groupe en déambulation.

Le 2ème, dans des petites rues très noires, a été beaucoup plus intime et doux, presque confidentiel.

En tout cas, la nouvelle version audio, expérimentée avec des casques audiophones pour le public et micro HF pour Pierre, s’avère produire davantage encore d’intériorité. Le public n’est plus seulement happé par l’image et le rythme lent de la marche, mais aussi par la voix et les textes.

Merci à Magali Brazil, à toute l’équipe du festival, les réguliers, les bénévoles, à Bock aussi (régisseur général qui trouve toujours des solutions), pour leur compétence, leur somptueux accueil, leur écoute, leur présence discrète et efficace.

Merci au public aussi bien sûr d’avoir été présent aux 2 RV.

Et à bientôt, espérons le !

Conception, vidéo, projection : nathalie démaretz Textes, voix, corps : pierre guéry 
Production : les allumeuses de réverbères. 
Cette création a fait l’objet d’un financement participatif *
Résidence de création : galerie La Place, à Barcelone, en Février 2014.                       Pour en savoir plus, vous pouvez lire la page "Psyché Extérieur Nuit" et l'article "à propos de Psyché Extérieur Nuit"

A propos de PSYCHÉ EXTÉRIEUR NUIT

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Pierre Guéry & Nathalie Démaretz  > 

 » Notre cheminement dans la vie, dans ce monde, est une marche aventureuse. Psyché Extérieur Nuit dévoile précisément cette marche de funambule, qui nous mène de façon très hasardeuse, balbutiante, vers l’ailleurs, en quête de l’inconnu, dans l’attente, dans l’espoir même, de l’inattendu.

Barcelone, vieille ville portuaire aux multiples métamorphoses de la modernité, construite et peuplée d’individus aux identités bigarrées, hydre à plusieurs têtes, s’est offerte dans notre travail comme un creuset d’errances qui interrogent l’humain. Nous y avons capté des fragments de vies, des fragments de ville, des fragments de l’Histoire et des petites histoires, comme autant de touches poétiques : murs, rues, habitants, bruits, eau, couleurs, attentes, rêveries, révolte… Nous avons cherché à comprendre comment battait le grand coeur de l’hydre. La cité alors, d’objet est devenue sujet, elle s’est livrée d’elle-même, inscrivant ses traces et ses palpitations dans notre imaginaire.

Tout au long du mois de février 2014, la Galerie La Place nous a invités en résidence à Barcelone, mettant à notre disposition un logement et un espace de travail avec vitrine, en prise sur l’extérieur. Là, au cours de nos longues marches dans la ville, nous avons cherché avant tout à saisir le sensible, à capter l’insolite, ce qui se cache derrière ce qui est donné à voir, in vivo. Travaillant tantôt ensemble, tantôt chacun de son côté sur cette idée commune et agissant simultanément avec nos outils propres : photographie, vidéo, écriture, prise de son. Ensuite, nous avons fait le montage de toutes ces captations : son, images, mots… et il ne fut pas simple en si peu de temps de devoir assembler les mille pièces d’un puzzle pour faire un tout ! Enfin il nous a fallu apprendre à marcher ensemble, dans la même direction, à accorder nos pas… « 

Nathalie Démaretz >

Quand l’image fait corps et que le corps fait sens.

« … Les projections d’images sont à l’origine prévues pour des surfaces blanches, lisses et fixes. Très rapidement, dans mon parcours, je suis passée de ces écrans conventionnels aux supports sans écran (murs, sols, plafonds, végétaux…) ou à des écrans fabriqués (calques, plumes, silhouettes…), produisant des effets de matière, de couleur, de luminosité et de forme mais toujours fixes. J’ai ensuite expérimenté des surfaces en mouvements aléatoires (végétaux, parachutes, fumées…) soumises au vent ou à des artifices (soufflerie, ventilateurs, miroirs articulés…). Tout ça dans le but de donner vie à mes images et de ne pas les figer à jamais sur un cadre-écran lisse, qui est à mes yeux synonyme des cadres-photos accrochés aux murs impeccablement blancs des galeries, les mortifiant comme des marbres funéraires ! Par ailleurs, j’ai souvent travaillé avec des compagnies de danse contemporaine et j’ai filmé beaucoup de danseurs. J’aime que l’image captée soit au plus près du corps, glisse sur la peau, en révèle le grain, ses ombres et ses lumières, ses plis et replis.

Avec cette nouvelle création j’ai voulu faire du corps vivant et de son mouvement un nouvel écran. Ce n’est plus le corps qui est filmé, au contraire, la peau devient surface de projection. Cette peau qui fait naturellement écran entre nous et le monde, qui le respire ou s’en protège, qui mémorise le temps qui s’écoule, les caresses et les coups. S’est opéré alors le passage du cadre de l’écran au hors-cadre de la cité reflétée sur un corps vivant, et de l’objet au sujet : un humain dans la ville, solitaire et multiple, individu ubique. La peau devient palimpseste, s’imprégnant de la lumière en mouvement, révélant des bribes de vies, concrètes ou abstraites, témoignant de ce qui nous anime et qui le plus souvent suffit à donner du sens à notre existence, restituant la mémoire. Le corps en se mouvant offre un volume à l’image, une troisième dimension, et investit l’espace. Un corps-miroir réfléchissant donc, renvoyant dans le milieu dont elles proviennent des ondes, des particules, des vibrations. Ce corps a été celui du poète Pierre Guéry. Et puis ce corps marche et avance en funambule, ce qui prend un sens plus important encore à Barcelone où les gens marchent quotidiennement, la promenade y étant un art de vivre presque sacré.

Au delà de cette idée à l’origine de cette création, j’ai découvert en l’expérimentant lors de la performance que ce corps pouvait devenir double. La vidéo projetée étant construite à l’intérieur d’une découpe, parfaite réplique du corps du poète afin de mieux épouser ses formes, à partir de ce moment, il devient possible de jouer avec la dissociation : double, alter ego, ombre. « L’autre », que je méconnais ; Moi ou Surmoi, qui me joue des tours ; psyché, âme ou esprit, etc. Aujourd’hui cette création prend donc un sens multiple parce qu’elle est construite en strates : l’une qui relève de la projection sur le corps, sur la peau, une autre qui évoque la marche du funambule, une autre qui donne du sens par le contenu même des images, une autre qui résonne aux mots du poète, une autre qui fait corps, une autre encore qui joue, qui s’amuse et nous balade, qui se tait, chuchote, bredouille, hésite, qui dit de nos conflits intérieurs mais aussi de ce qui nous divise ou nous rassemble entre êtres humains. Ce qui est certain est que la poésie immédiatement se propage, les spectateurs actifs se font instantanément happer par l’étrangeté de ce corps lumineux, entrent dans la marche lente, suivent ce rythme très inhabituel dans une grande ville. Nous passons spontanément du réel à la fiction. Et le fait que ça se déroule dans la rue, en plein réel donc, et non dans un lieu pré-codifié à cet effet, accentue davantage encore cette bascule. C’est assez magique. De cette Barcelone reste une vision non pas embellie, mais transcendée, sublimée. Ses maux et ses joies constituent un seul poème, celui de « Psyché Extérieur Nuit ». Et bien sûr nous ne nous arrêterons pas là. Nos pas nous porteront ailleurs. Nous tendrons un fil dans d’autres villes, d’autres pays… En tout cas, il y a là une belle matière poétique, politique, onirique, sensée, fragile, profonde, esthétique, ludique. Il y a là matière à réflexion. »

 Pierre Guéry >

«Ce corps-écran, à la fois émetteur et récepteur, a donc été le mien. Défendant depuis toujours une poésie-action, je m’engage forcément physiquement dans mes performances poétiques. Ancré dans la réflexion mais ne craignant pas l’expérimental, je m’étais approché depuis quelque temps de la danse Butô, donc du corps en mouvement permanent entre intime et extime, du corps en prise avec ses métamorphoses – que celles-ci soient induites par le son, la parole ou l’espace; mais aussi le corps immobile, celui qui arrête la pensée pour examiner en détail un état d’intériorité. Une immobilité sans hâte, sans précipitation, sans jugement, prête à changer de direction, à modifier les fréquences de son état, à renvoyer un rayonnement différent. C’est le propre de la poésie, dans le verbe comme hors des mots, dans le son comme dans le geste.

Durant cette création, j’ai accompagné les promenades-captations vidéo de Nathalie Démaretz pour imprégner mon corps et sa mémoire des sons et des images de la cité. Puis j’ai erré en solitaire, tendant mon micro, lui parlant lors de mes marches, faisant des pauses, écrivant… ; aboutissant ainsi à la création de la bande-son. J’ai aussi recherché, pour la performance in-situ, des mouvements et des rythmes de déplacements qui puissent s’adapter aux contraintes de projection mobile, tout en offrant une atmosphère onirique…»

Propos recueillis le 8 mars 2014 à Marseille