TOUT CE QUI FAIT EXIL EN NOUS

PRESSE
Les mangeurs de poussière : une installation de Nathalie Démaretz accueillie au cinéma Les Variétés à Marseille – 14 janvier 2016 au 29 janvier 2016

TOUT CE QUI FAIT EXIL EN NOUS

Au fond du cinéma Les Variétés, occultée par des bâches, plongée dans l’obscurité, la salle d’exposition accueille un cortège bien étrange. C’est l’installation de la vidéaste plasticienne Nathalie Démaretz  les mangeurs de poussière.

Des personnages fantomatiques, un peu plus grands que la moyenne humaine, sous l’effet de ventilateurs périphériques, oscillent sur leur socle.
Entravés et mouvants, dans la tension générée par le désir d’avancer, de fuir tout ce qui, de tout temps, a poussé les hommes à la migration, et la pesanteur de la route, de la fatigue, de la poussière qu’ils mordent, du désespoir qui les mord. Longues chemises légères tâchées, tuniques, djellabas, toges, figurent leurs corps sans chair, écrans blancs, traversés de lumière et d’images en mouvement.

Les têtes en plâtre, travaillées en volume, toutes différentes, donnent à chacun des traits uniques, une grimace, une émotion, un sentiment.
Ils sont ensemble mais seuls : chacun a son histoire. L’un porte un masque à gaz, l’autre par un tube chirurgical semble insuffler à sa femme un peu de vie pour poursuivre le chemin. Tel est tiré par un enfant, manches vides nouées entre elles, tel autre, lunetté, baisse le front, concentré sur son destin. Tous marchent dans la même
direction, escortés par la mort et la douleur universelle du « cri « de Munch figé dans un masque. Dans leur dos, sont projetées des   images en noir et blanc, archives documentaires d’exodes ou paysages. De vrais visages, de vrais corps apparaissent fugacement, des voies et des tunnels ondulent sur le tissu, des escalators montent et descendent. Autres flux, autres temps, autres lieux. Films et photos défilent, opposant leur rythme rapide à l’interminable marche des exilés, accompagnés par deux bandes sonores diffusées en alternance. Celle de l’artiste intitulée Inside et celle de Xumo Nunjo musicien camerounais, inspiré par les discours de présidents africains assassinés.

Si l’installation de Nathalie Démaretz a été inaugurée dans la rue à Barcelone, intégrant les déambulations des passants, elle était initialement conçue pour l’intérieur. Le cinéma Les Variétés lui offre donc l’occasion de se poser, pour la première fois, dans un espace
clos, même si les dimensions de la salle ne permettent pas autant qu’il le faudrait la vision de loin des personnages avec lesquels le rapport est sans doute trop immédiat. On tourne autour d’eux. On les touche. On se mêle au groupe.
Nathalie Démaretz voulant évoquer « la marche universelle et intemporelle des migrants » choisit le masque pour « parler a travers » comme la persona du théâtre romain, créant la distance symbolique nécessaire. L’oeuvre qui reprend un de ses thèmes de travail, l’exil, ne
peut laisser indifférent non seulement parce qu’elle s’ancre dans l’actualité dramatique de milliers de migrants mais encore parce qu’elle résonne avec tout ce qui fait exil en nous.

Elise PADOVANI Janvier 2016 / Mensuel culturel ZIBELINE